Chaos is the only constant.
Je n’ai de cesse de vouloir tout théoriser. De déceler les constantes, les variables, les modèles et théorèmes sous-jacents aux phénomènes qui jalonnent mon quotidien. Au point que chacun de ces termes hante la plupart des paroles que je prononce.
Je défendrai d’ailleurs à quiconque veut bien m’écouter que tout est théorisable, et que ce qui ne se conçoit pas en un système de pensée simple n’est simplement pas encore assez compris.
Je ne pense pas avoir tort. Mais je n’ai certainement pas non plus tout à fait raison.
Ne soyons pas dupes : un tropisme, tel que le mien, vers la Grande Théorie, implacable, intégrable, immuable a tout d’une stratégie d’évitement. Le genre qui fera les choux gras de tout thérapeute et quête de son treizième mois.
La théorie a cela de confortable qu’elle nous offre le confort de l’in vitro, où tout peut se passer, mais où rien ne peut se produire, où tout s’y explique et rien ne se complique. Un monde virtuel où l’inexplicable du réel s’efface au bénéfice de diagrammes séduisants d’arrogance, qui nous dérobe aux angoisses de l’imprévisible.
Jusqu’à nous faire oublier que la seule véritable constante est le chaos.
Le chaos, selon moi, se définit en deux temps :
Il désigne tout ce qui, dans un espace-temps donné, relève de l’inexplicable, car par encore compris. Les inconnus-connus (known-unknowns) en prise aux inconnus-inconnus (unknown-unknowns).
Il désigne tous ces aléas, qu’ils soient statistiques, mécaniques ou physiques, qui perturbent, par un hasard versant parfois à l’ésotérique, le cours d’événements jugés à tort comme tout tracés.
On pourrait résumer le chaos en une phrase : “de l’imprévisible issu d’une infinité d’entrechoquements impossibles à prédire, entre une infinité de variables impossibles à lister”.
De l’imprévu d’imprévu d’imprévu.
Je ne suis pas dupe quant à mon goût du théorique : chaque modèle que je dessine n’est qu’une tentative désespérée de me soustraire au prochain cygne noir qui se pose déjà sur nous, mais que je ne vois pas arriver.
Je ne suis pas non plus dupe quant au fait que tout modèle, de par sa fonction de simplification d’un réel inextricablement complexe par design, est voué à être, au mieux approximatif, au pire totalement faux.
On comprend, dès lors, que la théorie n’est pas tant un outil fonctionnel qui nous sert à nous jouer du réel, qu’un outil psychologique qui nous aide à supporter l’évidence que le réel se joue de nous.
Nous sommes des fétus de paille livrés aux courants d’une multitude de vents contraires, qui nous persuadons après la tempête que nos mouvements étaient une chorégraphie délibérée.
Les théories ne nous aident pas à prendre de “meilleures décisions”. Elles nous permettent simplement d’en prendre en nous ôtant aux limbes de l’infiniment complexe.
Elles sont les oeillères qui nous aident à nous enfoncer dans l’horizon des événements.
Et c’est déjà beaucoup.
Vive la théorie.
– Benoît 🌱🌳
Pour m’aider à développer Brain Dump :
Pour me soutenir :
J’ai entendu le neurologue américain David Siegel dire que « l’intelligence c’est la capacité d’intégrer le chaos et la rigidité. » C’est une des phrases les plus profondes que j’ai jamais entendu dans un colloque.